Depuis que les groupes armés terroristes (GAT) s’y sont progressivement installés, les régions du Centre et du Nord du Mali sont en passe de devenir les centres de toute sorte de batailles idéologiques et d’information. Nous notons l’implication d’une mosaïque d’acteurs dans cette guerre d’information, lesquels disposent de leurs propres stratégies. Cependant, le cas des GAT est particulièrement intéressant et révèle, à bien des égards, la capacité de ceux-ci à mener simultanément des actions violentes et de propagande informationnelle. Regroupant plusieurs organisations terroristes, Jama’at al Nusrat al Islam wal Musli (JNIM) Groupe de soutien à l’islam et aux Musulmans en français, opère au Mali et dans la région des trois frontières, où se rencontrent sans une réelle délimitation physique les territoires du Mali, du Burkina Faso et du Niger.
Depuis sa création en 2017, la coalition terroriste est confrontée à la puissance de feu des armées sahéliennes et françaises. Si les États s’appuient sur les moyens de la communication gouvernementale et les relais locaux pour déconstruire le discours djihadiste dans le cadre de la lutte contre la radicalisation, le JNIM joue également sa partition sur le champ de la bataille idéologique et informationnelle, en essayant tant bien que mal à donner un contenu légitime à ses actions, notamment pour y faire adhérer les populations locales. Ce faisant, elle développe un ensemble de rhétoriques et de discours propagandistes visant exclusivement ses « ennemis ». Il s’agit ainsi, dans ce papier, de restituer brièvement ses stratégies et discours en matière de guerre d’information.

La guerre d’information s’inscrit dans une logique de relations de pouvoir dans laquelle un acteur s’attache à influencer l’opinion publique dans la perspective d’une adhésion à ses causes. Sa devise est, selon François – Bernard Huyghe, « information, prédation, destruction ». Pour lui, « elle consiste plus concrètement à dérober, détruire, pervertir l’information depuis les connaissances intellectuelles jusqu’aux données d’informatiques, et son but est de produire un dommage, ou de gagner une hégémonie » Elle s’appuie sur différentes stratégies, y compris la propagande pour parvenir à ses fins. En effet, alors que les États sahéliens s’emploient à contenir la radicalisation par le biais de programmes de lutte contre l’extrémisme violent et par le dialogue, la coalition JNIM, quant à elle, s’appuie sur un ensemble de discours stratégiques, qui se renforcent mutuellement et entrent en conflit avec ceux des États.
Une propagande au service d’une légitimation
D’abord, malgré certaines réserves émises sur la réelle volonté de l’AQMI, le JNIM s’appuie sur la diversité de ses combattants pour que son discours soit plus porteur auprès des populations locales. Cette hétérogénéité est l’élément central du discours de JNIM. Son objectif majeur serait de contenir une éventuelle dissension interne, laquelle pourrait être fondée sur l’appartenance ethnique et communautaire.

Plus précisément, les dirigeants du JNIM, de par leur appartenance sociale et ethnique, représentent les principales communautés dans les zones d’opération des GAT: Arabes, Touaregs, Peuls, Berbères, etc. Cette hétérogénéité de la coalition est diffusée au sein des populations locales par le biais d’un ensemble de discours bien élaborés. À titre d’exemple, si Iyad Ag Ghaly est Tamasheq, Amadou Koufa est Peul. Donc, pour effacer les traces de différences, la coalition joue sur la stratégie de substitution identitaire, notamment ce que Nicolas Duvoux appelle « les assignations identitaires.» Aux identités communautaires et ethniques, se substitue l’identité musulmane. En clair, le JNIM se sert de l’identité musulmane qui représente un élément fondamental de la société, plus singulièrement dans les régions du Nord et du Centre du Mali. Celle-ci renvoie à une communauté commune et homogène, transcendant toutes les particularités ne relevant pas de la religion. La mise en avant de l’identité musulmane fut un élément inhérent dans les stratégies de conquête et d’implantation des djihadistes pendant l’occupation des régions du Nord du Mali en 2012. Ceux-ci ont mobilisé un ensemble de discours fondés sur le long enracinement de l’Islam dans les structures sociales au Mali et s’appuient sur certaines fractures sociales et politiques. Ce discours était un des arguments principaux de Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), lequel avait occupé la ville de Gao pendant plusieurs mois en 2012.
Ensuite, la propagande terroriste a réussi à imposer le spectre de la division traditionnelle de « Nous versus Eux ». Pour le JNIM, eux renvoient à ses ennemis regroupant les Forces armées maliennes, la France et ses « politiques néocolonialistes ». Dans les discours de JNIM, il y a toujours cette obsession de qualifier les ennemis de racistes, d’usurpateurs, d’ennemis de l’islam et des Musulmans, dont les pratiques ne font que déshumaniser les Musulmans. Dans cette perspective, l’armée française est présentée aux populations locales comme une force d’occupation qui corrompt la religion musulmane. Ses agents et collaborateurs sont qualifiés de pilleurs des richesses du Sahel. De fait, elle constitue naturellement la principale cible de JNIM, suivie par les gouvernements de la région. En résumé, c’est une stratégie de l’auto-victimisation. Celle-ci s’accompagne d’un appel au combat contre l’envahisseur français et la glorification des martyrs.
La propagande terroriste a réussi à imposer le spectre de la division traditionnelle de « Nous versus Eux ».
Enfin, une autre stratégie de propagande repose sur une véritable guerre d’information, notamment la capacité de JNIM à se maintenir dans le jeu de l’offensive et du contre-offensif informationnel. C’est une logique de guerre d’information consistant à posséder de son propre canal médiatique et produire son propre contenu dans la perspective de confirmer et/ou de démentir une information des ennemis. C’est notamment le cas dans une vidéo de Koufa, enregistrée et montée par le concours de az-Zallāqa, l’agence de propagande de JNIM.

Dans cette vidéo dont nous avons reçu la traduction en français, nous retenons quelques éléments du traitement réservé à la France et à ses officiels, qui avaient annoncé la mort du prédicateur Amadou Koufa en novembre 2018. Le prédicateur laisse entendre contre la France les propos qui suivent :
- Il met l’accent sur le mensonge d’État, venant des officiels de premier plan de la France « Seuls ceux qui ne croient pas aux versets d’Allah forgent le mensonge, et tels sont les menteurs », déclare le prédicateur,
- Il revèle ce qu’il appelle l’imposture et l’impuissance des services de renseignement français,
- Pour Koufa, le langage français est spéculatif, ex : « une probabilité et une chance qu’une telle figure parmi les tués » : Une analyse mettant en cause la crédibilité et la légitimé de « la parole de la France », celle de ses responsables de premier plan (ceux de l’armée).
- Et enfin, il invite tous les acteurs armés au Mali de reconsidérer et revoir les objectifs, car selon lui « la gloire et les droits ne pourront être restaurés et récupérés que si ce n’est à l’ombre des épées, en traitant l’ennemi de la même manière, et en ne cédant jamais aux principes. »
Ainsi, nous notons dans ce registre une propagande et contre propagande, une véritable guerre d’information dirigée contre les déclarations françaises relatives à la supposée mort de Koufa. Par ailleurs, il faut souligner que dans le même registre, le prédicateur s’en prend aux gouvernements locaux, les qualifiant de collaborateurs. Ce qui revient à préciser que les populations et les États sahéliens font figure d’ennemis au même titre que leurs partenaires français, et par ricochet, de premières victimes de la violence terroriste au Sahel en termes de pertes en vie humaines.
« Une autre stratégie de propagande repose sur une véritable guerre d’information, notamment la capacité de JNIM à se maintenir dans le jeu de l’offensive et du contre-offensif informationnel »
Les moyens en oeuvre
S’agissant des moyens en œuvre dans cette propagande, il ressort que les GAT utilisent à la fois les réseaux sociaux, les radios et leurs organes – agences de communication, dont les publications sont ensuite reprises par la presse locale. Selon une étude de Sergio Altuna Galán, Telegram et WhatsApp sont les deux principales applications utilisées par les GAT.
Dans l’imbrication de ces moyens de propagande, les réseaux sociaux occupent la place de vedette. Les téléphones portables ont dorénavant remplacé les transistors. WhatsApp s’est imposée comme la « radio du Sahel » version 2.0, dans un pays baigné de tradition orale. Avec un taux de pénétration dumobile de 91 % et un accès croissant à internet, selon un article de Le Point Afrique, « la propagande djihadiste se répand au Mali comme une traînée de poudre jusque dans les villages les plus reculés ». De plus, les moyens classiques de communication, notamment la radio vient renforcer les réseaux sociaux. Par exemple dans la région de Mopti, les discours d’Amadou Koufa enflamment et passent en boucle sur les radios locales, dans les écoles coraniques, sur les marchés à bétail où l’on s’arrache les cassettes audios de ses sermons.
D’autres moyens de propagande de JNIM notamment classiques viennent en complément des réseaux. Al-Andalus Media et Az-Zallāqa sont les deux principaux organes de propagande des GAT au Sahel. En ce sens, les deux constituent sa marque de fabrique et son bras médiatique. Outre la revendication des attaques, ils diffusent des contenus audiovisuels. Ils publient également les informations relatives aux otages et connaissent une présence active sur Twitter. Si les contenus de Telegram et WhatsApp ciblent principalement les populations locales, ceux publiés sur Twitter par les organes de JNIM sont destinés principalement aux officiels Sahéliens et Occidentaux.
Le discours terroriste rencontre de la résistance locale
Malgré quelques succès auprès des populations locales, la propagande djihadiste est confrontée à la résistance des érudits, lesquels proposent d’autres explications plus modérées des precepts coraniques. Il convient donc de ne pas uniquement percevoir les populations locales comme étant des simples objets incapables d’entrer en résistance contre la propagande terroriste. Par exemple, bien que Koufa soit charismatique, certains travaux mettent en exergue des formes de résistances face à sa propagande dans le centre du Mali. C’est notamment le cas de l’étude publiée par Crisis Group sur les possibilités de dialogue avec les GAT au Mali.
Dans la partie consacrée au débat religieux, notamment les échanges entre érudits modérés et Amadou Koufa dans la région de Mopti, les premiers ont mis en évidence les incohérences de l’argumentaire djihadiste du second. Selon l’un de ces érudits, « les débats ont eu un impact positif sur les jeunes susceptibles d’être séduits par les djihadistes, en leur faisant prendre conscience des failles du discours des insurgés et en les persuadant de ne pas rejoindre le jihad. »
Sans forcément mettre en cause l’autorité des djihadistes (moyens de coercition de notre point de vue), ces échanges mettent en exergue les tentatives de résistance au sein des populations locales. Ce qui revient à émettre l’hypothèse selon laquelle l’influence de la doctrine religieuse des GAT est à relativiser. Dans le centre du Mali, outre les fractures sociales et politiques, les conditions d’existence des populations, plus particulièrement celles des jeunes donnent un écho favorable à la parole terroriste et facilite le recrutement.
En effet, l’enracinement de JNIM dans les régions du Centre et du Nord du Mali et l’échos favorable de ses discours révèlent une complémentarité de deux facteurs pertinents. En plus des stratégies de manipulation et de propagande que nous avons évoquées plus haut, le JNIM profite à la fois de l’absence de l’État et de la précarisation des conditions d’existence des populations locales. De fait, la propagande djihadiste intervient dans un contexte où le chômage frappe cruellement les jeunes, où certaines actions des représentants (acteurs civils comme militaires), et celles de leur partenaire français sont mises en cause par certaines fractions de la population
De fait et en guise de recommandation, pour le gouvernement malien et ses partenaires étrangers, contenir la propagande djihadiste reviendrait à disposer des mêmes armes que les GAT. Il s’agit, d’une part, de déconstruire le discours djihadiste et de replacer au cœur des approches du contre-terrorisme, la complémentarité entre le militarisme et les véritables politiques de développement, pouvant impacter directement et graduellement l’économie réelle, d’autre part.
Amadou BATHILY est politologue & analyste d’intelligence économique. Co-fondateur du cabinet d’intelligence économique SOONNI au Mali, il s’intéresse aux questions de défense & sécurité, et de renseignement économique. contact : amadou.bathily@soonni.com